Archive for the ‘02 – Réflexions’ Category

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Extrait #1

30 octobre, 2013

Critique, mon beau souci. Culture, ma pauvre amie.

Est-ce parce qu’il y a une crise du cinéma qu’il y a une crise de la critique?  Peut-on indéfiniment écrire de manière inspirée sur des films moyens, des cinéastes ordinaires, parler avec une verve renouvelée de «mauvaises années» qui sont «à oublier»? Évidemment, le cinéma inspirant invite la critique inspirée. Cela va de soi. Mais le problème de la critique est plus profond et l soi-disant crise qu’elle traverse – depuis un long moment qui s’éternise – n’est pas la conséquence déplorable de quelques années de vaches maigres indiquant un quelconque affaiblissement du cinéma dans son ensemble. Elle trahit un grave problème qui dépasse la simple sphère d’influence du septième art et s’étend à l’ensemble du domaine des arts, à la place que l’on daigne bien leur réserver dans notre société.

L’appareil critique est devenu un vulgaire créateur de consensus, comme si la seule finalité à laquelle peuvent aspirer ceux qui pratique cette profession était de s’agglutiner mollement autour de ces films que «la critique a aimé» pour les encenser incessamment selon cette logique circulaire qui veut qu’un film aimé par la critique le soit toujours plus. Mais à force de répéter ad nauseam les mêmes phrases creuses au sujet des mêmes films jugés «bons», cette «critique» ornementale contribue à la marchandisation du cinéma, à l’instrumentalisation des films. Elle ne cherche plus à susciter des réflexions, ne vise plus à approfondir la lecture des oeuvres qu’elle aborde. Elle ne tisse pas de liens entre les films puisque, au contraire, sa raison d’être et son mode opératoire se résument à les isoler pour pouvoir les noter et donner (ou non) au spectateur potentiel l’envie de voir les produits évalués.

Pire encore, elle ne semble plus animée par un réel amour du cinéma, n’apparaît plus comme l’extension naturelle de l’idéal cinéphile ou d’un quelconque projet intellectuel conséquent mais plutôt comme un embranchement logique (parmi tant d’autres) de cette entropie médiatique générale selon laquelle il faut produire des discours sur tout et encadrer le mieux possible chacune des facettes de l’activité culturelle. Cette «critique-journalisme» vise à produire des comptes rendus, à tenir informé (quel mot ignoble, à un accent près d’informe) et, par son biais, on peut suivre le cinéma comme on suit le hockey. Or le cinéma est un hockey de luxe pour individus sophistiqués – un bien de consommation culturel à haut potentiel commercial qui habilement mis en valeur, peut générer de réels profits.

Dans un article intitulé «Pourquoi je déteste la culture», publié dans le numéro 299 de la revue Liberté, Pierre Lefebvre écrivait: «Désormais, quand on parle de culture de façon sérieuse, c’est essentiellement pour évoquer avec docte conviction un homme et une femme qui, parce qu’ils ont de l’instruction et un salaire conséquent, sont affamés de distraction haut de gamme. C’est comme ça qu’un soir ils vont au théatre ou encore au concert, mon Dieu, qui sait, peut-être même à l’opéra.» La critique, telle qu’elle se présente sur la plupart des tribunes, sert à tenir ces consommateurs distingués au courant. À les mettre au parfum, à les orienter bien gentiment sur ce qui est raffiné, touchant, peut-être même intelligent. Elle détermine le beau cinéma, celui qui est de bon goût d’aimer. Mais à quoi devrait servir la critique de cinéma? Chose certaine, elle ne devrait pas contribuer à la banalisation de l’art qu’elle prétend défendre.

Alexandre Fontaine Rousseau, 24 images, #162

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La boîte

3 novembre, 2012

Les dernières semaines ont été dures pour moi. Elles ont été dures car j’ai été dur envers moi-même. Je me suis enlisé dans des mauvaises habitudes et des fantômes du passé, je me suis même inventé un problème pour me convaincre, et je sens que les autres le sentent. Je me suis laissé aller dans un fossé. Je ne sais rien des autres, je ne sais pas ce qu’ils veulent de moi. Et puis une nuit, en prenant une marche, il m’est arrivé une question qui me hante encore aujourd’hui, et qui va sûrement me hanter pendant un bon bout de temps, à moins que la réponse me vienne entre les lignes de texte et de pixels qui s’écrivent devant moi:

Pourquoi suis-je encore en vie?

Cette question ne m’horrifie pas; elle m’intrigue. Elle est le symbole d’un bogue dans la logique de l’histoire humaine. Pourquoi suis-je encore en vie? Vous savez, ça doit maintenant faire dix ans que mes premières idées suicidaires se sont manifestées, en 5e année du primaire. Vous conviendrez que pendant ces dix années, quelque chose aurait sûrement dû flancher, tôt ou tard. Dix ans à quelques pieds du gouffre, dix ans à crever paisiblement dans sa chambre, ça ne se fait pas, c’est insensé. Alors pourquoi suis-je ici en ce moment? Qu’est-ce qui a fait en sorte que j’ai continué à vivre? Est-ce de la naïveté? De la lâcheté? De la peur? Je ne sais pas, mais si vous acceptez cette réalité comme toutes les autres, je suis encore complexifié par la lourdeur de mes pas.

Je me souviens quand j’ai communiqué mon envie de mourir pour la première fois. J’étais en 5e année du primaire comme j’ai dit plus tôt. Dans la classe il y avait une boîte à lettres où l’on pouvait déposer nos problèmes auxquels les préposés, élèves de la classe, pouvaient nous aider, comme quand on se faisait écœurer ou quand on avait des petites crottes sur le cœur. Un jour, sûrement par innocence, j’ai mis un papier où je disais que j’avais déjà pensé à me suicider. Celle qui l’a lu quelques moments plus tard avait le regard renversé et grand ouvert. Quelqu’un est venu l’aider, avec le même effet. Ils étaient si jeunes. Plus tard dans la journée, le professeur a demandé de me voir dans la bibliothèque juste à côté de la classe. Il a ouvert le papier, et il m’a demandé qu’est-ce que c’était. Je ne savais pas quoi lui répondre. Il était très fâché de la situation, et il m’a dit d’oublier tout ça, ne plus jamais faire ça; j’ai accepté, bien sûr, qu’est-ce que je pouvais faire? J’avais 9 ans. Plus tard dans l’année il fit un infarctus; je ne l’ai jamais depuis. Il a survécu, il paraît même qu’il m’aimait bien, mais je ne l’ai pas vu depuis.

Ne prenez pas ce texte pour une note de suicide; j’ai horreur des martyrs de la société actuelle, créés par un public en quête d’une victime pour se sentir moins mal. Seulement, je sens que je teste ma vulnérabilité de plus en plus, que j’ai perdu de vues mes horizon et mes mots, que je m’appauvrit de ma pensée. Il y a quelque mois, quelqu’un en larmes m’a dit: «Vincent, tu es une belle personne.»

J’essaye désespérément d’y croire maintenant.

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Folles

16 juillet, 2011

Mes sœurs vieillissent. Plus vite que je peux le gérer.

Une d’elles approche ses 17 ans. Sa chambre est directement à côté de le mienne. En fait, je pourrais dire qu’à l’exception de ma chambre, c’est elle qui possède le sous-sol. Un soir j’ai entendu sa respiration s’accentuer. Comme un bel enfoiré j’ai fermé mon ordinateur pour mieux l’entendre, tout seul dans le noir. Je suis devenu voyeur pendant un instant, et puis c’était terminé.

Pendant que la majorité ait trouvé ses paroles si belles sur la scène de l’auditorium, ces paroles sont devenues encore plus sales derrière le rideau. Et croyez-moi, sachant que c’est elle qui sacre le plus facilement dans toute la famille, c’est un accomplissement à lui-seul. J’ai même remarqué qu’elle me traitait plus de fif ces temps-ci, comme quoi même sa sexualité était devenue une insulte.

L’autre est un cas plus intéressant, plus intellectuel si vous me le permettez. Si l’un n’a duré qu’une nuit, s’évaporant dans le souffle des jeunes initiés, l’autre continue encore sur sa traînée, sa curiosité, en fait, il continue à travers les pages d’un livre cru d’ erreurs tâchées de rouge à lèvres et de relations brisées. Ma plus petite sœur lit du Nelly Arcan. À 14 ans. Je ne peux pas vous dire combien cela m’a éclaté la cervelle la première fois que j’ai mis mes yeux dans les pages du livre.

Je me dis que j’exagère trop, que je ne devrais pas devenir ce parent protecteur aveuglé par sa propre incompétence. Je me dis que je ne devrais pas me mêler de cela car je ne suis, après tout, qu’un homme, et ainsi je ne suis pas qualifié pour parler des bas les plus profonds de la noyade. Mais j’ai décidé de le lire, en sa présence, sur l’autoroute pas si lointaine. Arrivé à un certain moment, je lui ai demandé comment se faisait-il qu’elle lisait un tel livre, avec un regard aussi cru envers le monde adulte qui l’attendait malgré elle; elle m’a répondu qu’elle a trouvé que le livre n’est pas pour elle aux alentours de la page 40. À ce point-ci, on avait déjà parlé de drogue, de fellation, de chatte, de baise, de prostitution, de branlette, de suicide. Je ne sais pas qu’est-ce qui l’aurait poussé à dire une telle chose de la page 40; j’essaye encore de trouver la larme qui a fait déborder le vase, mais en fait, je sais que ça n’a pas d’importance.

Elle ne voulait plus que je mette la main sur ce livre. Je ne sais pas s’il s’agissait de son instinct d’enfant qui veut garder des objets sans vraiment savoir pourquoi à part la fonction matérielle du volume, ou bien qu’elle me voit comme celui qui veut lire son journal intime qui se trouve à travers ces pages. Les enfants ne veulent pas rester jeunes; ils veulent grandir, ils veulent devenir grands à tout prix. Ils font les mêmes erreurs que leurs plus vieux sous un sentiment de victoire, d’accomplissement; ces mêmes erreurs que leurs pairs voient avec désolation et qui va, tôt au tard, les frapper à leur tour. Tout ce que l’on peut faire, c’est essayer d’être prêt à l’encaisser de plein fouet, essayer d’amortir le choc. Mais avec un tel bouquin, une telle vie, personne ne peut amortir un tel choc. Tout ce qui reste sont les corps allongés sur le Plateau Mont-Royal, regardant vers le ciel, ne voulant pas mourir de la sorte. Enfin j’espère; je ne suis qu’un pauvre fils de banlieue.

Elle dit que c’était le nom qui l’avait interpellé: Folle.

Mais est-ce que je suis vraiment différent d’elles? En fait, la question serait plutôt est-ce que la situation pour moi a changé depuis deux ans? Et après tout, il y a des moments où je me trouve à ne pas détester mes sœurs du tout. C’est vrai, j’avoue. La narrateur est un enfoiré, un paranoïaque paradoxal sans doute. Ses perceptions sont gavés de tâches imaginaires. Mais je dois avouer que des fois, quand ma main droite se concentre dans les deux sens, la vérité me frappe que je pourrais faire autre chose ce moment-ci. Je pourrais dire à une femme que je l’aime, commencer de quoi, grandir avec quelqu’un à côté de moi. Mais non, j’écris des poèmes, avec cette même main droite, et elles sont si loin à présent.

…Demain j’aurais 30 ans.

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Prologue

9 juillet, 2011

*Originalement écrit le 1er juillet*

Bon voilà, j’ai l’impression d’avoir déjà été là.

Les sacs, le chat, le iPod, la mère qui capote sur mes pilules à ma place, le stress. J’ai une semaine de vacances avec ma famille dans un chalet près du Saguenay. Je ne sais pas pourquoi, mais partir en voyage ne m’apporte pas de bonheur, d’euphorie. Peut-être parce que dans la philosophie où je vis, le voyage ne sert qu’à changer le paysage, pas ce que l’on vit ni ce que les autres vivent. Oui on va nager, se promener en bateau, mais nous l’avons déjà fait quelque part plusieurs fois. Et si nous étions pris dans un petit espace pendant autant de temps, nous ne faisons que changer de petit espace pour un moment.

Je suis plus émerveillé quand je regarde un film m’emportant non seulement dans des lieux différents, mais aussi dans des réflexions, des univers différents. Je suis plus émerveillé quand je me promène dans les rues de Québec, sans aucun agenda. Puis je me retrouve sur l’autoroute que je parcouru des dizaines de fois à chaque année, et je me demande en regardant les écrans autour de la voiture «Qu’est-ce qui sera si différent?»

Je suis arrivé. Les fenêtres projettent un paysage d’horizon de nuages, mais je ne sais pas s’ils l’ont remarqué. Je désire pourtant rester à l’intérieur, peu bavard, à penser à une écrivaine morte.

Je ne suis pas encore prêt pour Montréal, mais dans l’imprévu se cache toute la beauté du monde.